• la queue du lézard (deuxieme partie)

    La queue du lézard repousse toujours quand on l'a arrachée.

    Nathanaël, un jeune sculpteur prometteur va bientôt en faire l'expérience...

    En effet, il fallait que je quitte les lieux au plus vite.

     

    Par la fenêtre, je pouvais voir les visages de mes voisins, déformés par la peur et la haine. Je sentais leur excitation monter. Celle du chasseur devant sa proie aux abois. Celle du badaud qui s’arrête pour regarder les décombres fumants d’un terrible accident. Celle des spectateurs Romains, tandis que les gladiateurs s’entretuent. La chair et le sang. La perspective d’un événement horrible et sanglant a toujours galvanisé les foules. Et cette fois ci, se serait mon tour…

    Je rassemblai en hâte quelques affaires, ainsi qu’un nécessaire de toilette, que je jetai dans une valise. Puis je descendis à l’atelier, afin de prendre mes outils. La vue de mes œuvres me fendit le cœur. Mais je ne pouvais les emporter aujourd’hui. Ce serait pour une autre fois.

    Enfin, le klaxon de la voiture de Philippe retentit. Je commençai à trainer mes bagages jusqu’à la porte. Le silence était assourdissant et lourd de menaces.

    J’entendis la voix de Philippe, claire, forte, posée, qui appelait la foule au calme. Il avançait calmement dans l’allée qui menait vers ma porte. On sentait qu’il se tenait sur ses gardes, mais sa démarche était mesurée et dénotait une incroyable maîtrise de soi. Il dégageait une telle aura d’assurance tranquille, de confiance en son bon droit, que son appel à la raison fut écouté. La foule le laissa passer, puis finit par se disperser. Je l’attendais à la porte, et le laissai entrer, en le remerciant cordialement.

    - Allons-y, ne traînons pas, dit-il. Pour l'instant tout est calme, mais ils reviendront. Avec du renfort, et des armes. Et là, on n’aura peut-être pas autant de chance…

    Je le suivis donc, terrorisé, tandis qu’il portait mes bagages d’un pas décidé et autoritaire. Certains badauds étaient restés. Je sentais leurs regards haineux sur moi, habités par la peur. On aurait dit des bêtes sauvages prêtes à mordre. Nous avons chargé les bagages dans la voiture, puis nous sommes partis, sans que quiconque ait esquissé un geste contre nous. Nous avons roulé à tombeau ouvert jusqu’à chez lui.

    Epuisé, je m'affalai sur le canapé, tandis que mon ami s'occupa de décharger mes bagages. Je dormis d’un sommeil de plomb.

    Le lendemain, j’appris dans le journal que ma maison avait été ravagée par un incendie. Il n’en restait que des cendres. Apparemment l’origine du sinistre était criminelle, mais on n’avait pas pu mettre la main sur l’auteur… Les voisins n’avaient évidemment rien vu…Tu parles !...Ces abrutis étaient venus avec des bidons d’essence, et ils avaient foutu le feu, oui ! Toute une vie de travail réduite à néant par cette bande de dégénérés !

    Cette nouvelle acheva de me déprimer complètement. Je restai un mois dans cette prostration végétative. Mon esprit, tendu à se rompre, avait fini par déclarer forfait. J’étais liquidé, tant moralement que physiquement. La fièvre créatrice qui m’avait animé avait disparu, remplacée par une apathie que rien ne semblait pouvoir dissiper. Mes émotions, mes sentiments, mes sensations étaient anesthésiées, et, bien sûr, il n’était plus question de sculpture.

    D’ailleurs, plus question d’actes de malveillance non plus… cette partie de ma vie semblait s’effacer peu à peu, pour laisser place à une morne indifférence. J’étais devenu la parfaite incarnation du légume ordinaire, n’ayant aucun désir ni aucune ambition qui put nuire à mon prochain.

    Puis Philippe m’annonça que Clara, sa femme, qui était partie un mois chez sa mère, allait rentrer. En clair, il était temps que je mette les voiles… La mort dans l’âme, je me résignai à contacter mes parents en leur disant que je n’avais nulle part d’autre où aller, et que j’étais au bout du rouleau.

    Je négociai pour rester une semaine de plus le temps de préparer mon départ. Philippe accepta avec joie et me proposa toute l’assistance nécessaire. Je passai donc la journée dans les magasins, histoire de me refaire une garde-robe complète. Puis j’achetai un billet de train. Un aller simple. Après, j’improviserai…

    Je rentrai de mes courses vers dix-neuf heures. Au parfum fruité qui régnait dans la maison, je compris tout de suite que la femme de mon ami, était revenue de voyage. Puis, j’entendis une voix cristalline, demander si tout allait bien, et si Philippe savait si je rentrais dîner. Comme il lui répondait, j’entrai dans le salon, et je l’aperçus. 

    Elle était magnifique. Son visage ovale était fin, encadré par une chevelure brune  qui offrait un contraste saisissant  avec ses yeux verts en amande. Son nez était droit, légèrement busqué tandis que sa bouche aux lèvres vermeilles dessinait un arc de Cupidon aux courbes parfaites. Son menton volontaire, laissait la place à un cou élancé.
     Mais c’était son corps, surtout, qui me ravissait. Sa peau, blanche comme le marbre, sur laquelle le soleil avait posé un hâle léger. Le modelé de sa poitrine, ses épaules charnues, la cambrure des reins que laissait deviner sa robe moulante, ses jambes galbées qui n’en finissaient pas, sa démarche chaloupée et sensuelle, tout cela m’attirait irrésistiblement.
    C’était la femme de mon meilleur ami. Pas question d’y toucher.

    Après les présentations d’usage, je filai sous la douche, tandis qu’elle et Philippe mettaient la table pour le diner. Aussitôt son image m’envahit, ainsi que le désir que j’éprouvais pour elle. Je fus pris d’une envie folle de la toucher, de palper son corps parfait et sa peau duveteuse.

    Une fois calmé, je redescendis pour le dîner. Après un repas copieux, nous partîmes nous coucher. Exténué, je m’écroulai sur le lit sans même me déshabiller, et tombai dans un sommeil profond.

    Je me réveillai vers cinq heures du matin, hagard, avec la sensation de n’avoir pas fermé l’œil de la nuit. Ma tête bourdonnait, encore sous l’effet du rêve bizarre dont je sortais. J’y avais poursuivi des milliers de Clara, se dupliquant à l’infini à travers un labyrinthe d’où je m’efforçais de sortir. Des Clara aux courbes magnifiques, aux lèvres charnues et à la bouche en cœur.

    J’étais perclus de courbatures, le moindre mouvement me faisait horriblement souffrir. Pourtant je ne parvenais pas à me rendormir. Je me levai donc et descendis en titubant jusqu’à la cuisine, pour préparer mon petit déjeuner. Je trouvai la porte ouverte, ainsi que des traces de pas qui venaient du jardin… Je crus d’abord à la visite d’un cambrioleur, et me dirigeai vers l’entrée à la recherche d’éventuels indices.

    Et, là, je découvris la sculpture, grandeur nature, taillée dans le marbre du portique… C’était mon chef d’œuvre. Elle représentait Clara, nue, complètement offerte, dans une pose lascive et langoureuse. Terriblement ému, je la regardai tendrement, tout en m’approchant. Puis je caressai doucement le marbre glacé.

    Il ne fallait à aucun prix que Philippe voie cette statue. Je cherchai désespérément un moyen de la détacher du portique pour la cacher et l’emporter avec moi. Mais, sans aide, je n’en voyais aucun… Alors, la mort dans l’âme, j’allai chercher mes outils, et, avec pour seuls témoins les corbeaux et les mésanges dans la lueur du matin, je m’acharnais à la marteler, afin qu’il n’en reste plus aucune trace. Puis harassé et hagard, je retournai à la maison. Tout était calme. Je fonçai sous la douche, et, quand j’en sortis, je trouvai mes amis attablés devant leur petit déjeuner.

    Je leur fis part de mon intention de partir. Immédiatement. Philippe fit mine de me retenir, mais je le repoussai presque sauvagement. Je partis, sans me retourner, trainant ma valise remplie à rabord. Je marchai ainsi droit devant moi, pendant des kilomètres. Puis je pris un autocar, et après trois heures de route, j’atterris dans un bled paumé dont je ne connaissais rien.                                                                                                                                         

    A suivre...


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  • Commentaires

    1
    carobeli Profil de carobeli
    Dimanche 8 Mai 2011 à 20:04

    voici trois fois que je modifie la description de Clara,... J'ai une image précise dans la tête, mais je n'arrive pas à la faire passer par écrit, c est assez frustrant...

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